Cravate noire

Janvier 2012

Je débarque à Kobe, 7h25 du matin, après un trajet de nuit depuis Tokyo, la station semble aussi endormie que moi. Je file vers les chambres de bain pour enfiler mon costume, pantalon et veston noir, chemise blanche, avec la cravate ébène achetée quelques minutes plus tôt dans un conbini (dépanneur). Le costume prêté par un ami la journée précédente est un peu trop grand mais ça fait l’affaire. Si je m’habille de la sorte c’est pour assister à des funérailles. Deux jours plus tôt, un ami chez qui j’ai souvent séjourné lors de mes précédents voyages au Japon est subitement décédé.



Je vais assister à une grande cérémonie bouddhiste pour cet homme qui était très apprécié. J’arrive au début de la deuxième journée. Quelques garçons qui font partie de la famille se sont relayés toute la nuit pour garder le feu allumé près du défunt, c’est-à-dire allumer des tiges d’encens qui brûlent en permanence. J’en allume une à mon tour, je lui adresse quelques mots en silence, bien désolé d’arriver trop tard pour faire avec lui le pèlerinage de l’île de Shikoku que l’on s’était promis de faire ensemble quelques années plus tôt. La cérémonie débute, je n’ai jamais vu autant de fleurs dans une même pièce. Les femmes sont vêtues de noir des pieds à la tête et les hommes sont affublés de la même manière que moi. Trois moines entrent dans la pièce et entament une série de chants. Vient alors le tour des invités de présenter leurs derniers adieux au mort ainsi que leurs respects à la famille.

Au Japon il est interdit d’enterrer les morts, l’incinération est de mise, sauf pour des cas exceptionnels comme ce fut le cas en mars 2011 ou pour des raisons évidentes, les victimes du tsunami ont dues être enterrées. Après que chaque invité ait déposé une fleur dans le cercueil de bois, qui contenait déjà quelques objets chers à la personne, la boîte est refermée.

La cérémonie terminée, nous nous dirigeons vers le centre de crémation ou le cercueil est brûlé. Une trentaine de personnes font le voyage, la famille proche en grande partie. Le cercueil est mis dans un four immédiatement et après deux heures d’attente, nous sommes conviés pour la prochaine étape.

Ne sachant pas trop à quoi m’attendre, je reste en retrait alors que des paires de longues baguettes de bois sont distribuées à toutes les personnes présentes. Nous sommes juste à la sortie du four, un préposé sort de ce dernier une petite table en ciment sur roulette encore chaude de la taille du cercueil, on y voit quelques clous, des cendres et plusieurs os qui ne laissent aucun doute sur ce qui se trouve devant nous. On peut voir la colonne, les fémurs, quelques morceaux du crâne et certains petits os éparpillés sur la table. La tradition japonaise veut que les personnes prennent à l’aide des baguettes un petit morceau d’os sur la table et le déposent dans une boîte située au centre de la table. Certain morceaux sont pris par deux personnes comme c’est le cas pour moi et mon frère japonais avec qui je dépose l’os du menton dans le petit contenant. J’ai rarement vécu un moment d’une telle intensité.

Encore sous le choc de ce que je viens de voir et de vivre, nous retournons au centre de funérailles ou la cérémonie reprend avec la boîte d’os au centre de l’hôtel. La journée tire à sa fin et le voyage du retour vers Tokyo m’appelle, j’offre mes dernières sympathies à la famille et je souhaite à mon ami décédé un dernier voyage bien reposant.


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